Au Niger, l’exploitation minière artisanale a démarré au milieu des années 1980 au Liptako, dans la région de Tillabéry, à l’ouest du pays. En 2014, l’or est apparu dans le Nord du pays à Agadez dans l’Aïr, le Djado, et Tafassasset. Enfin, récemment en juillet 2021, l’or est réapparu dans le Sud du pays à Dan Issa, Région de Maradi (Ministère des Mines du Niger, 2023). En effet, le Niger compte actuellement trois régions d’orpaillage, toutes marquées par des enjeux juridiques, socio-économiques et environnementaux.
Selon la Loi n°2022-033 du 05 juillet 2022 portant loi minière nigérienne, l’exploitation minière artisanale est un ensemble d’activités qui consistent à extraire et concentrer des substances minérales et à en récupérer les produits miniers marchands en utilisant des méthodes et procédés manuels et traditionnels. Toutefois, l’usage d’un minimum de mécanisation et d’énergie électrique est autorisé, mais sont interdits les explosifs et les produits chimiques. Elle n’est pas fondée sur la mise en évidence préalable d’un gisement.
Code minier du Niger
Deux dimensions antagonistes se jouent incontestablement…
Comme toute activité industrielle, les enjeux socio-économiques des exploitations minières artisanales peuvent être perçus sur deux dimensions antagonistes. Il s’agit de la dimension positive et de la dimension négative. Selon une étude récente (janvier 2022) menée par Abdou Bougoury TRAORÉ, Enseignant-chercheur au Laboratoire d’Economie Appliquée au Développement (LEAD)-FSEG à l’Université des Sciences Sociales et de Gestion de Bamako (Mali), la première dimension met en évidence la création de l’emploi et la lutte contre la pauvreté tandis que la deuxième se focalise sur la cause de bouleversement social et environnemental de ce sous-secteur minier.
L’orpaillage comme alternative au chômage des jeunes et à la pauvreté…
Selon l’Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE,2018), dans les pays en développement, plusieurs millions de personnes dépendent de l’extraction minière artisanale et à petite échelle en fournissant des emplois ainsi que diverses activités génératrices de revenus.
Au Niger, dans toutes les trois régions où se pratique l’orpaillage, les populations et les autorités communales concernées y voient une alternative au chômage des jeunes et une mesure contre la pauvreté. Malgré qu’il soit difficile d’estimer la production d’or issue de l’orpaillage car il est souvent informel, en 2020 cependant, le Niger a exporté plus de 18,307 tonnes d’or (Ministère des mines du Niger, 2023).
Selon Elhadj Mamoudou, chef artisan minier : « Sur un site d’orpaillage moyennement actif, le revenu mensuel d’un jeune artisan minier (exploitant ou valorisant) est autour de 70.000 à 100.000 et au-delà en fonction de la localité. Par exemple au Nord du pays, sur les sites désertiques tels que Tabarkat, les artisans ouvriers gagnent mieux »
Economiquement, le revenu moyen d’un artisan (ouvrier) minier au Niger pourrait être nettement supérieur au Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti (SMIG) du pays qui est de 42.000 FCFA (soit 64,39 Euro).
Outre l’opportunité d’emploi directe sur les activités minières artisanales, l’orpaillage génère également le développement de petits commerces (tablier, vendeurs d’eau), de la restauration, des métiers de fabrication et de réparation (électricité, forge, garage-mécanique, menuiserie, soudure, etc.). Avec l’avènement de nouvelles technologies minières artisanales qui dominent le secteur depuis une dizaine d’années, on assiste également à la vente et à la location d’appareils de recherches, d’extractions et de traitement à petite échelle tels que les détecteurs des métaux, les marteaux piqueurs, les motos tricycles, les broyeurs humides ou à sec, etc.
L’orpaillage, un vecteur incontestable du développement endogène…
L’or a par ailleurs entraîné le développement de certaines communes, comme celle de Tabelot, devenue en quelques années une ville minière. Des besoins pressants ont vu le jour en termes d’équipements et d’accès aux services de base, tandis que la ville souffre d’un assainissement et d’une gestion des déchets déficients. Grâce aux multiples taxes sur l’orpaillage et les activités induites, de nombreuses infrastructures (case de santé, piste, puits, pompe volante, gabion et digue, etc.) ont ainsi pu être réalisées par la mairie.
Gagnol & Afane, 2019
Autre constat positif, l’orpaillage constitue un vecteur du développement endogène. Cela dit, plusieurs réalisations communautaires comme les forages d’eau, les puits, et les pistes sont réalisées dans les communes et villages au profit de la population autochtone. Certains grands sites comme Tchibarakaten et Tabelot au nord du pays sont cités en exemple. De plus, sur ces sites, il existe des services de soins de santé privés disponibles pour les artisans miniers et les villages environnants. Toutes ces activités contribuent au changement de la physionomie des communes, des villages et des hameaux abritant ou avoisinant les sites d’orpaillage.
En gros, la liste est loin d’être exhaustive, mais, l’ensemble des principales retombées économiques directes et indirectes citées ci-dessus, incitent plusieurs jeunes à s’engager dans les activités d’orpaillage.
En dépit de la rentabilité de cette activité, l’orpaillage évolue fréquemment en marge de la réglementation en vigueur, et provoque des désordres sociaux et environnementaux. Ces derniers peuvent être résumés comme suit :
La déperdition scolaire (image enfant mission Liptako) : De nombreux enfants (de parents extrêmement pauvres) se retrouvent souvent sur les sites d’orpaillage au cours de l’année scolaire.Par conséquent, l’école peine à maintenir les apprenants et les enseignants dans ces zones où l’argent tombe « en cache ».
Changement social : À l’Ouest (Liptako) et le Sud (Maradi) du pays, la rentabilité rapide de l’orpaillage attire de plus en plus les populations majoritairement agricoles. Ces derniers délaissent leurs champs saisonniers qui assurent l’essentiel des besoins alimentaires. Ce changement social pourrait être une source de réduction qui menacera par la suite la sécurité alimentaire des populations concernées.
Amadou Seyni, orpailleur à Tamou (département de Say) : « Il est vrai que l’agriculture est un héritage de nos grands-parents, mais de nos jours pour survivre, nous devons changer de métier. L’orpaillage me permet de gagner en trois (3) jours ce que je gagnerai en une (1) saison dans l’agriculture ».
La dégradation des mœurs et la prolifération des maladies sexuellement transmissibles : la prostitution est aussi un fléau qui caractérise le site d’orpaillage clandestin du pays. Le développement de l’orpaillage favorise rapidement l’arrivée de plusieurs prostituées professionnelles à l’échelle nationale, voire régionale. Cela engendre dans les villages et aux environs la sexualité précoce chez les jeunes et la prolifération des maladies sexuellement transmissibles comme le VIH/sida, qui sont incontestablement un phénomène de perturbation sociale, contraire à nos traditions et cultures. Elle est aussi l’une des causes des échecs scolaires des jeunes filles en raison de grossesses précoces non désirées.
Impact sanitaire, d’hygiène et de sécurité : l’exploitation minière artisanale de l’or implique également l’utilisation de produits chimiques tels que le mercure et le cyanure qui pourraient nuire à la santé humaine à travers les affections neurologiques, des maladies auto-immunes ou encore des malformations congénitales, etc. (voir article sur l’utilisation du mercure). Aussi, l’absence d’infrastructures sanitaires engendre la propagation de maladies (paludisme, les infections respiratoires aiguës, les traumatismes, les diarrhées, les dermatoses ; etc.). En outre, on observe que l’usage de stupéfiants, la délinquance, l’escroquerie, le banditisme et même la criminalité, ont tendance à s’y développer. (Voir https://sahelhumide.com/orpaillages-au-niger-linsecurite-lorgne-le-nord-du-pays/ ).
Problème environnemental : De manière générale, en partant des activités d’extraction et de traitement du minerai, les différents types de conséquences environnementales de l’orpaillage se résument comme suit : la dégradation des sols et destruction des aires de pâturages et d’agriculture (à travers le creusement des puits des mines) ; la déforestation (utilisation du bois pour le soutènement, les hangars et la cuisine) ; la pollution des cours d’eau (produits chimiques tels que le mercure, le cyanure et les acides sulfuriques et nitriques), etc. (voir https://sahelhumide.com/orpaillages-au-niger-entre-prosperite-des-hommes-et-degradation-de-lenvironnement/ )
Ce qu’il faut encore comprendre…
Au-delà de la dimension négative, l’orpaillage est incontestablement une source de revenus importante pour des milliers de foyers, en particulier le Nord, l’Ouest et le Sud Maradi du Niger.
En effet, le statut informel des sites d’orpaillages est souvent synonyme de sentiment d’incertitude observé dans la gestion technique et administrative de ce sous-secteur minier. Face à cette supercherie discriminatoire vis-à-vis des « mines des pauvres », nous immergeons dans un cadre de réflexion infinie qui nous pousse souvent à poser des questions curieuses et percutantes : Existe-t-il réellement un plan de gestion d’urgence pour les sites nouvellement découverts ? L’État dispose-t-il de mécanismes permettant de mettre en communion toutes les parties prenantes (structures techniques compétentes, autorités locales et coutumières, ONG, Société Civile, population, etc.) du secteur ? L’État répond-t-il stratégiquement aux doléances exprimées par les populations concernées par les ruées vers l’or ? La gestion de l’orpaillage est-elle une question socialement vive dans nos universités et écoles supérieures ? Qu’est-ce qui empêche les artisans miniers à se conformer à la réglementation minière et environnementale pendant et après l’exploitation minière ? Les structures compétentes (Ministère en charge des mines, SOPAMINE et les autres ministères d’appui) manquent-elles de logistique suffisante pour mieux gérer le secteur ? Pourquoi la création de la police minière au Niger reste-t-elle toujours à la traîne ? À quand l’assermentation officielle des agents du ministère en charge des mines ? L’insécurité généralisée sur les sites d’orpaillage (notamment au nord et à l’ouest du pays) est-elle un prétexte justifiable de la mauvaise gestion du secteur ?
La réponse à toutes ces questions est de prime abord politique. À cet effet, l’État du Niger doit poursuivre ses efforts de formalisation du secteur de l’orpaillage afin de protéger à la fois les populations, l’environnement tout en encourageant l’exploitation de la richesse locale. En d’autres termes, l’État doit assumer pleinement ses fonctions de protection et de puissance publique, particulièrement l’application des réglementations relatives au code minier, au code environnemental, à la législation sociale, aux mesures fiscales, et au contrôle des activités d’orpaillage. Suivant cette même idée, il constitue le premier catalyseur d’une promotion minière réussie à la merci d’une économie formelle au nom de la population nigérienne, conformément à la norme internationale Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE). (Voir https://sahelhumide.com/la-norme-itie-un-autre-outil-pour-la-gestion-durable-de-nos-ressources-naturelles/).
À travers les structures compétentes du secteur, les collectivités territoriales, les orpailleurs et les villages d’accueil, l’État doit également mettre en place un mécanisme de « réponse ou plan d’urgence » en cas de toute découverte spontanée des ruées d’or sur l’étendue du territoire nigérien. Ce mécanisme d’urgence permettra d’éviter des décisions hâtives au détriment d’une population déjà fragilisée économiquement. Par exemple, la fermeture soudaine (sans porte de sortie) du site d’orpaillage de Dan Issa (Sud de Maradi) a été une des décisions absconses et peu professionnelles prises sans perspective socioéconomique de la situation. Bien que fermé depuis le 08 novembre 2021 et sécurisé par les Forces de Défense et de Sécurité, quelques orpailleurs continuent à le fréquenter de manière clandestine tout en créant des nouveaux points d’extraction tout autour de la zone minéralisée selon les autorités communales. Ainsi, il ne s’agit donc pas seulement de fermer un site d’orpaillage pour des raisons sécuritaires ou environnementales, mais aussi de trouver un débouché socioéconomique à une population déjà marginalisée et privée de leurs richesses locales. Dans ce genre de situation, la population concernée attendra impatiemment des orientations socioéconomiques, voire une forte sensibilisation et un encadrement du secteur au cas où le site pourrait être rouvert dans des conditions appropriées de gestion par les services compétents. Mais, jamais de « silence radio » de la part de l’État.
L’orpaillage répond aussi au système de considération des « mines responsables » tant qu’il est bien géré.
2 commentaires
Profond diagnostic. Nous vivons les mêmes réalités.
Bravo.
Vivement un autre regard sur cette filière du secteur minier.
Good job Ismaïla.
Très bon travail mon cher environnementaliste. Ce problème nous le rencontrons aussi chez nous en RDC beaucoup plus à l’Est du territoire national.